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Mettre la P.I. au service des entreprises

Julien Brun / Publié le 09:40 13.12.2022 | 05 min


La Propriété Intellectuelle est intrinsèquement liée à l’innovation; elle en est un rempart, un gardien. Créé en 1966, l’Office Freylinger est bien connu des entreprises luxembourgeoises. Ses équipes, multi-expertises, se composent de 40 collaborateurs aux profils extrêmement spécialisés. Rencontre avec deux de ses Conseils en P.I. : Marie-Christine Simon, mandataire marques, dessins et modèles, juriste de formation et directrice du Département marques et modèles (16 ans de maison) et Philippe Ocvirk, mandataire brevets, Ingénieur de formation et Partner (24 ans de maison).

Comment pourrait-on présenter l’Office Freylinger ?

PO: Certainement comme le plus grand cabinet de conseils en propriété intellectuelle de la Grande Région. Nous proposons une gamme complète de services de propriété intellectuelle et plus particulièrement dans les brevets d’inventions, les marques et les dessins et modèles. Plus concrètement, nos clients investissent dans le développement de nouveaux procédés, produits ou machines qui doivent être protégés afin de profiter d’un retour sur investissement. Nous les accompagnons donc tout d’abord dans la phase d’obtention de droits : dépôts de brevets et marques et analyses préalable, procédures d’examen, et ceci tant au plan européen qu’international. Nous sommes également présents au cours de la vie de ces droits, lorsque le propriétaire souhaite les vendre (cession) ou autoriser des tiers à les exploiter (licences, franchises), et lorsqu’il s’agit de les défendre face à une contrefaçon jusqu’au renouvellement de la marque après 10 ans ou du dessin après 5 ans.

MCS: Le cabinet est composé d’une équipe d’experts : les affaires de marques, dessins & modèles et contrats sont traitées par des juristes spécialisés en P.I. Côté brevets on trouve des scientifiques (ingénieurs, docteurs, masters) aux disciplines variées : chimie, sciences de la vie, mécanique, physique, matériaux ou encore les inventions mises en œuvre par ordinateur. Au quotidien, nous intervenons donc dans une variété de domaines techniques, aux côtés de nos clients. En effet, lors d’un dépôt de brevet nos experts vont entrer dans le détail de l’invention avec l’inventeur. Notre valeur ajoutée est de définir le cœur du concept inventif, et de rédiger le mémoire technique qui sera déposé en tant que demande de brevet. C’est un travail qui requiert empathie, rigueur et curiosité.

“Il est indispensable que les entreprises qui innovent se posent la question de l’opportunité de la protection avant de divulguer leurs innovations. Cela doit être un réflexe !”

Marie-Christine Simon

Marie-Christine Simon

Comment définir la P.I.?

MCS: Elle concerne toutes les œuvres issues de l’esprit et regroupe la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique. La propriété littéraire et artistique est composée du droit d'auteur, des droits voisins et du droit sur les bases de données. La propriété industrielle, quant à elle, concerne plus spécifiquement la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations. Il faut bien distinguer ce qui relève de la technique et qui sera protégé par un brevet, alors que des idées de noms ou de services, ou encore de créations esthétiques seront protégées par une marque, respectivement un dessin ou modèle. Si une idée ne peut être protégée, il sera possible de protéger la matérialisation de cette idée : produits ou procédés techniques qui en découlent, noms et logos liés à un nouveau produit ou service, apparence des objets, écrans d’interfaces graphiques, algorithmes à visée technique, etc.

“Une question brûlante du moment est celle de l’opt-out. En effet, dès le 1er avril 2023 la JUB sera compétente également pour les brevets européens déjà en vigueur.”

Philippe Ocvirk

Qui sont vos clients ?

MCS: Dans la mesure où nous existons depuis 1966, nous avons une vaste clientèle, active dans des secteurs extrêmement variés. Elle s’étend des startups de la Tech. ou de l’espace aux grandes entreprises actives à l’international, en passant par les grandes entreprises historiques du Luxembourg, les PME et la recherche publique. Collaborer avec les mêmes clients depuis longtemps nous a permis d’acquérir de réelles connaissances dans certains secteurs. Cela étant, peu importe la taille du client ou son secteur d’activité, nous sommes à l’écoute de ses attentes et le guidons tout au long de l’élaboration de sa stratégie de protection, toujours en adéquation avec son budget.

A quel type de problèmes êtes-vous confronté ?

MCS: Citons l’un des plus connus : celui des logos. Une entreprise crée sa propre marque et ne s’est pas renseignée avant. Son logo ressemble étrangement à celui d’un concurrent. Il y a donc litige et il va devoir le changer. Ce sont des cas très courants. Il y a quelques années, les marques Apple et Samsung ont fait parler d’elles car leurs tablettes sont sorties en même temps ; chacune accusant l’autre de contrefaçon pour le modèle de la tablette.

“Le brevet est un outil stratégique et de croissance pour l’entreprise”

Philippe Ocvirk

Philippe Ocvirk

Est-ce que la P.I. est rentrée dans la culture des entreprises?

PO: Si les personnes sont de mieux en mieux informées et sensibilisées à ces problématiques, force est de reconnaître que les grandes entreprises sont en avance par rapport aux PME. Pourquoi ? Sans doute parce que dans les PME, il y a un manque de temps et de moyen à consacrer à la protection. Pourtant le brevet est un outil stratégique et de croissance pour l’entreprise, qui détient un monopole sur son innovation, et va augmenter son chiffre d'affaires en étant la seule à pouvoir fournir le produit breveté. Il est essentiel de garder à l’esprit que la protection doit intervenir avant la divulgation/commercialisation d’une invention, au risque d’en détruire la brevetabilité pour manque de nouveauté.

MCS: nous pouvons souligner le rôle de sensibilisateur qu'a joué l’IPIL (Institut de la Propriété Intellectuelle du Luxembourg) auprès des entreprises du pays, mais également Luxinnovation pour les startups par exemple. Nous proposons des formations à nos clients afin de les aider à identifier les démarches à suivre pour obtenir de la protection de leurs inventions et de leurs droits de P.I. Pour ce qui est de l’investissement dans la P.I., l’Union européenne a mis en place un Fond à destination des PME et des industries innovantes. Les subventions sont directement transférées aux entreprises et permettent de les soutenir financièrement.

“La fonction d’une marque est d’identifier l’origine d’un produit ou d’un service.”

Marie-Christine Simon

Qui peut déposer un brevet ou une marque ?

PO: Tout le monde est concerné par la P.I. Chaque entreprise utilise des marques. Mais toutes les entreprises ne font pas d’innovation technique. Les projets de dépôt de brevet commencent généralement par la réalisation d’une recherche d’antériorité, afin de se faire un avis sur les chances d’obtenir un brevet. Si les feux sont “au vert”, nous rédigeons alors la demande de brevet, qui comprend une description technique de l’invention ainsi qu’une définition juridique (les revendication). Ce texte sera alors déposé auprès de l’Office de brevets.

MCS: Cette invention aura peut-être également besoin d’un nom et son apparence sera peut-être originale. On n’oubliera donc pas d’envisager conjointement le dépôt d’une marque, d’un logo et/ou d’un dessin et modèle. La fonction d’une marque est d’identifier l’origine d’un produit ou d’un service. La marque va donc permettre de fidéliser son client. Comparativement aux brevets, les coûts de dépôt sont relativement modestes et les procédures de courte durée.

En discussion depuis presque 50 ans, le brevet unitaire européen sera enfin lancé le 1er avril 2023 ; que va-t-il apporter ?

PO: Actuellement, une invention peut être protégée en Europe par un brevet national ou par un brevet européen. Ce brevet européen est dit fragmenté, car il s’agit en réalité d’une pluralité de brevets européens, délivrés pour les 39 États membres. Cela représente des coûts importants de validation et de maintien en vigueur si le propriétaire souhaite une large protection territoriale. En outre, la contrefaçon se règle au plan national ; si un contrefacteur est actif dans plusieurs pays, il faudra mener des actions judiciaires dans autant de pays, avec les frais et risques que cela implique. Le brevet européen à effet unitaire élimine cette fragmentation : c’est un titre unique qui assure une protection uniforme et produit des effets identiques dans un ensemble d'États.

MCS: Le brevet unitaire ne concerne pour l’instant que 17 pays. Sur le plan économique, le gain est évident. Au lieu de payer 17 taxes annuelles pour maintenir votre brevet, vous n’en payerez plus qu’une seule. En outre, le brevet unitaire supprime à terme les traductions, éliminant les formalités de validation. Mais il ne faut pas oublier que le brevet unitaire s’accompagne également de la création de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB), un tribunal qui aura compétence pour l’ensemble du contentieux des brevets européens, unitaires ou non (et même existants).

PO: Il est donc important que les titulaires de brevets se familiarisent avec ce système du brevet unitaire. Une question brûlante du moment est celle de l’opt-out. En effet, dès le 1er avril 2023 la JUB sera compétente également pour les brevets européens déjà en vigueur. Cela fait naître un nouveau risque, celui d’une attaque centralisée du brevet devant la JUB par des tiers ou des potentiels contrefacteurs. Dans ce contexte, les titulaires de brevet peuvent déposer une demande de dérogation (opt-out) afin d’échapper à la compétence de la JUB et garder le contentieux devant les tribunaux nationaux. C’est une question délicate et nous guidons les clients dans ces choix.

“C’est le principe même de notre métier que d’appréhender les nouveautés technologiques.”

Philippe Ocvirk

Quels sont les défis à venir pour la P.I. ?

MCS: nous sommes comme toujours très occupés avec les avancées technologiques. Je pense tout particulièrement au Métavers pour lequel il n’existe pas encore de véritable littérature législative et la jurisprudence ne fait que commencer à s’implanter. Je prends pour exemple les vêtements ou bijoux que le client pourra acheter dans le Métavers: est-ce que les marques, actuellement protégées dans le monde réel, le seront encore dans la dématérialisation virtuelle et est-ce qu’un usage dans le Métavers sera suffisant pour valider la protection existante? Pour l’instant, rien n’est moins sûr.

PO: C’est le principe même de notre métier que d’appréhender les nouveautés technologiques. Nous sommes en ce moment très actifs dans l’hydrogène, et ce dans différents secteurs. Avec la fin des moteurs thermiques, nos clients du monde de l’automobile sortent d’une innovation incrémentale et sont pleinement confrontés à l’innovation de rupture. Nous apprenons en même temps qu'eux, en les accompagnant afin de transposer leurs développement en droits de brevets.

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