Le logement du futur sera modulable et écologique
Laurent / Publié le 12:35 09.08.2022
Betic Ingénieurs Conseils est spécialisé dans les services d’études, de conseils, d’assistance et de coordination dans le domaine des projets techniques et industriels. Depuis sa création, l’entreprise a évolué et a su s’adapter aux exigences environnementales. Entretien avec Gilles Christnach (GC) et David Determe (DD), Managing Directors du bureau.
Gilles Christnach et David Determe , Managing Directors
Aujourd’hui, on parle de plus en plus de construction durable. Pouvez-vous définir ce terme?
GC: Pour nous, la durabilité est le défi du futur. Le challenge est de penser la conception de sorte que le bâtiment n’ait pas d’impact négatif sur la planète. Cela va donc plus loin que l’achèvement du bâtiment. Il s’agit de prendre en compte l’ensemble de son cycle de vie, jusqu’à sa “déconstruction”. La conception doit intégrer des éléments qui exercent une influence positive permanente sur l'impact environnemental du bâtiment. Il peut s'agir d'une bonne isolation pour éviter les pertes de chaleur, de panneaux solaires pour réduire la consommation d'énergie, de matériaux de construction ayant une longue durée de vie, qui soient facilement démontables et réutilisables….
DD: Mais la durabilité, c’est aussi créer des espaces de vie où l’utilisateur final se sent bien et puisse se projeter à long terme, quelle que soit l’évolution de ses besoins: davantage de chambres, un espace de vie plus vaste, un bureau à l’écart des bruits du quotidien… Ces dernières années, notre métier a évolué mais la philosophie est restée la même, si ce n’est que l’urgence climatique et la crise géopolitique actuelle nous poussent à aller encore plus vite. Notre rôle est de trouver les meilleures techniques de construction pour apporter des solutions durables, tant au niveau du bien-être, de la qualité, que de l’impact environnemental. Finalement, concevoir des espaces polyvalents, intelligents, durables, qui épargneront à la fois nos finances et la planète..
Comment peut-on améliorer les techniques de construction?
GC: Elles sont forcément liées au choix des matériaux mais d’autres éléments entrent désormais en considération: la qualité de l’air, le souci d’avoir une bonne acoustique dans un logement… On constate que le facteur énergétique n’est plus le seul élément à prendre en compte dans la construction. A nouveau, construire durable, c’est également créer des bâtiments et des espaces de vies où les occupants pourront se projeter à long terme..
DD: Côté matériaux, une nouvelle tendance se dessine avec un retour aux “sources” dirais-je, mais aussi via de nouvelles possibilités de recyclage. Recyclage ou fibres naturelles, le champ des possibles est vaste et ne demande qu’à changer d’échelle. Le chanvre, par exemple, est un matériau biosourcé, à faible empreinte carbone, ancestral, qui connaît un retour depuis quelques années tant pour l’isolation des bâtiments que pour le design mobilier. Les déblais (terre, roche, sable, etc.), traditionnellement jetés dans les décharges, sont également de plus en plus utilisés, en les transformant en matériaux de construction. La société Geobloc, installée au Grand-Duché de Luxembourg, produit en ce sens une brique de terre crue compactée, uniquement composée d’eau, d’argiles luxembourgeoises et de terres d’excavation en provenance de chantiers de construction. Cette technique utilisée depuis plusieurs millénaires s’inscrit dans le schéma de l’économie circulaire. Et beaucoup d’autres matériaux nous offrent tout autant de nouvelles perspectives: Mycélium, boues de fabrication, etc..
GC: Pour revenir sur l’acoustique, la pollution sonore fait partie des objectifs à améliorer. C’est la raison pour laquelle notre équipe s’est agrandie et comporte des experts dans ce domaine, appuyés quand nécessaire par ceux du Groupe VK Architects+Engineers, dont nous faisons partie. Et dans les autres bureaux du pays, nous constatons aussi le développement de cette expertise comme un métier à part entière, ce qui reflète bien désormais son importance. Un triple vitrage avec trois verres d’épaisseur similaire aura par exemple de bonnes caractéristiques énergétiques mais pas acoustiques. Si une bonne isolation acoustique est nécessaire, nous préconiserons davantage des verres d’épaisseur suffisamment différente pour que la composition globale du vitrage soit plus équilibrée du point de vue de ses performances acoustiques. Isoler acoustiquement assez, mais pas trop, ça ne s’improvise pas et c’est essentiel pour éviter que les personnes développent une hypersensibilité au bruit..
On parle de plus en plus de construction 2.0, qu’on pourrait définir comme une remise en cause des processus de conception, de dimensionnement et des méthodes d'exécution des travaux. Comment cela se traduit il aujourd’hui?
DD: L’innovation et la transformation digitale sont des sujets stratégiques devenus majeurs dans notre secteur et s’inscrivent dans une démarche globale permettant in fine une meilleure collaboration entre les acteurs, au service d’un projet durable et de haute qualité. L’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils a ainsi déployé La “Maîtrise d’œuvre OAI” (MOAI.LU), une méthode de travail collaborative intégrale garantissant un lien direct entre le maître d’ouvrage et les concepteurs pour développer une véritable culture de services coordonnés. Le processus de travail collaboratif BIM (Building Information Modeling) est pour sa part encadré et pulsé par le Centre des Ressources des Technologies et de l’Innovation pour le Bâtiment. Ces processus, appuyés par l’investissement en digitalisation des professionnels du secteur, dynamisent l’innovation pour répondre aux enjeux environnementaux actuels..
GC: Exact. Et le Luxembourg, avec la Suisse et l’Autriche, fait aussi partie des bons élèves, et même des précurseurs au niveau des réglementations, notamment énergétiques. Concernant les normes pour les maisons passives, cela fait au moins une quinzaine d’années que des règles sévères ont été mises en place au GDL. Bien entendu, celles-ci évoluent, sont de plus en plus rigoureuses et de nouvelles législations apparaissent. Celles-ci peuvent être décriées, mais à nos yeux, elles sont des guidelines, indispensables à l’atteinte des objectifs environnementaux nationaux et internationaux. Les entrepreneurs sont eux de plus en plus persuadés qu’ils doivent investir dans l’innovation s'ils veulent améliorer la situation et atteindre les objectifs européens de décarbonisation. Le revers de la médaille, cela reste évidemment le prix de la construction qui a augmenté. Pour répondre aux normes actuelles, il faut plus de budget, puisque le coût des matières premières croît et que l’on incite à construire avec de nouveaux matériaux, plus durables et écologiques. C’est sans doute le point négatif, mais clairement l’investissement est justifié lorsque l’ensemble du cycle de vie du bâtiment est considéré..
Parmi vos différents projets, il y a celui du Kiem 2050. Pouvez-vous le décrire?
GC: Il s’inscrit dans une approche de mutualisation des espaces et de durabilité. On doit créer un environnement urbain parmi les nombreux buildings actuels. Il faut que ces logements soient respectueux de l’environnement et à échelle humaine. C’est donc toute une nouvelle philosophie qui se greffe dans ce projet qui devrait voir environ 150 appartements sortir de terre. En plus de leur appartement individuel, les acquéreurs pourront profiter de plusieurs zones partagées, dehors comme dedans: des chambres d'amis, des ateliers de bricolage, une cuisine collective ou encore des potagers communs et de nombreux emplacements pour les vélos..
DD: Une fois encore, le logement de demain doit tenir compte des changements sociaux et énergétiques. Il doit être modulable et adaptable aux différents modes de vie et aux différents types de ménage. Le logement du futur sera donc durable et intégré de manière optimale dans un système de services complémentaires et d’économie circulaire..
GC: Tout comme les Capelli Towers, à Esch-Belval: un immeuble mixte qui intègre des appartements flexibles/modulables où les pièces peuvent évoluer en fonction des besoins des occupants. Imaginons un espace bureau aujourd’hui, qui peut être transformé en chambre à coucher au besoin, simplement, grâce notamment à des techniques pensées de façon évolutive… C’est ça, construire de façon modulable..
Aujourd’hui, on construit aussi de grands bâtiments, plus coûteux. Cette vision n'est-elle pas en contradiction avec le concept de développement durable, d’écologie, d’empreinte carbone?
GC: On peut en débattre et se poser la question mais l’un n’exclut pas nécessairement l’autre. Il est vrai qu’encore actuellement, dans l’inconscient collectif, nous sommes en perpétuelle recherche d’espaces aux surfaces ou hauteurs sous plafond plus importantes, censés être sources de plus de bien-être… Mais tout le monde sait que le comportement de consommation culturelle met du temps à évoluer. Notre rôle d’ici là est donc de continuer à trouver des compromis entre fonctionnalités du logement, coûts divers et impact environnemental..
DD: J'ajouterai cependant que les mentalités ont déjà évolué. Avant on construisait pour l’éternité. Désormais, on imagine des édifices modulables, avec des espaces partagés. Les temps changent et il devient très difficile de construire des maisons comme autrefois, avec 4 façades et un grand jardin. Cette vision est de plus en plus partagée et il est certain qu’elle le sera encore davantage dans les années à venir.