Mobilité

La mobilité : un défi national

Julien Brun / Publié le 07:25 20.02.2023


Après le lancement de la stratégie multimodale Modu 2.0 en 2018 et l’introduction du transport public gratuit en 2020, le Luxembourg s’est doté d’une nouvelle feuille de route : le PNM 2035 (Plan National de Mobilité). Roude Léiw le mag. a interrogé le Ministre chargé de la Mobilité et s’il reste encore pas mal de travail, François Bausch se veut optimiste sur les projections.

François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics

Le plan national de mobilité entend « passer d’une logique de rattrapage à une logique d’anticipation ». Est-ce possible, sachant que le nombre de travailleurs frontaliers augmente chaque année ?

Le Luxembourg est en retard en matière de mobilité. C’est précisément ce qui fait de l’approche anticipative la seule option. Si les évolutions démographiques et économiques étaient moins exceptionnelles, on aurait pu espérer rattraper le déficit d’offre de mobilité. Or, avec une croissance moyenne de 3%, qui semble se confirmer, et un retard historique dans la mise en place d’alternatives attractives à l’autosolisme (NDLR : pratique solitaire de la conduite d'un véhicule motorisé, plus spécifiquement d'une voiture), il faut dès à présent lancer plus de projets qui constituent les pièces du puzzle essentielles pour une offre de mobilité multimodale capable de gérer 40% de déplacements quotidiens supplémentaires.

En venant d’Arlon, la bande de covoiturage, lancée en 2019, est véritablement un flop et n’a rien arrangé à la situation. Le trafic n’a pas diminué vers le GDL. N’aurait-il pas fallu la prolonger davantage pour lui donner une chance de réussite ?

Toute offre de mobilité n’a de succès que si elle répond à une demande. Puisque l’intérêt d’une bande de covoiturage est de permettre aux covoitureurs de dépasser l’embouteillage quotidien, elle doit se trouver au niveau de cet embouteillage. Or, l’embouteillage sur l’A4 belge, qui devient l’A6 au Grand-Duché, se forme le matin à partir de l’échangeur Capellen. Voilà pourquoi le PNM2035 prévoit une priorisation pour bus et covoitureurs sur l’A6. Puisque ce n’est pas la seule autoroute sur laquelle le PNM2035 prévoit une telle priorisation et que certaines autoroutes seront à 2x3 voies (la future A3) et d’autres à 2x2 voies (plus bande d’arrêt d’urgence élargie, comme l’A6), un concept global d’allocation des voies est cours d’élaboration.

Les routes et autoroutes sont-elles condamnées aux embouteillages éternels et qu’en est-il du nombre d'occupations par véhicule ?

Ce n’est pas en élargissant et en ajoutant des routes qu’on réduit les embouteillages. Dans un contexte de croissance économique et démographique, l’idée que le trafic serait fluide comme de l’eau et qu’il suffirait donc de lui donner plus de place pour qu’il s’écoule mieux, est erronée. En effet, les routes supplémentaires créent du trafic supplémentaire. Le PNM 2035 prévoit la construction de certaines routes avec comme seul but de rendre plus attractives les alternatives à l’autosolisme, que ce soit en mettant en place des voies prioritaires pour bus et covoitureurs, ou en écartant d’un centre de localité un trafic de transit tellement excessif que les habitants n’osent plus se déplacer à pied ou à vélo dans leur propre localité. Concernant le taux d’occupation des véhicules, nous ne sommes pas naïfs. Etant donné que la grande majorité des ménages dont la source de revenus est au Luxembourg ont les moyens de s’offrir leur propre voiture, la seule façon d’augmenter les taux d’occupation est de conférer aux covoitureurs un réel avantage; des minutes gagnées sur une bande de covoiturage ou une place de stationnement privilégiée sur le lieu de travail, par exemple.

La fin des moteurs thermiques en 2035 sonne-t-il le glas du tourisme à la pompe ?

Il n’y a dans le terme « station-service » aucune notion de vente de carburant. Elles ne devront donc même pas changer de nom, seulement de service. Depuis l'Empire romain, les voyageurs recherchent des services le long des routes, et des commerçants en offrent. La plupart l’ont déjà compris et font davantage de chiffre d’affaires avec leur magasin qu’avec le carburant. Pour ce qui est du tourisme dans notre pays, l’UNESCO ne se trompe pas en affirmant que le Grand-Duché vaut un détour pour ses paysages, ses villes et villages, sa culture. Un couple qui fera deux jours de cyclotourisme à Clervaux apportera plus à notre économie qu’une famille qui ne fait que le plein d’essence sur sa route vers le Sud.

“Ce n’est pas en élargissant et en ajoutant des routes qu’on réduit les embouteillages, [...] les routes supplémentaires créent du trafic supplémentaire”

François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics

Un train est considéré comme étant en retard dans une gare si l’attente dépasse 6 minutes. Comment qualifier la situation au GDL ?

Précisons que la limite du retard a été définie au niveau européen et effectivement, les trains sont comptabilisés comme étant en retard à partir de 6 minutes par rapport à l’horaire officiel. Il est vrai que depuis quelques mois, et particulièrement depuis cet été, la ponctualité a baissé et des trains ont été supprimés. Ceci a été causé par une multiplication de complications sur des chantiers qui sont involontaires aux CFL; exemple avec le glissement de terrain au Tunnel Schieburg (NDLR : qui devrait ouvrir après le printemps 2023), des incompatibilités entre du matériel roulant et le nouveau poste directeur d’Ettelbruck, l’allongement du chantier de la tête sud en gare de Luxembourg à cause de la pénurie d’équipements ferroviaires chez les fournisseurs. Toutes ces complications ont eu des répercussions sur presque tout le réseau. Mais les CFL n’ont pas cessé de travailler depuis cet été pour redresser la situation et depuis fin novembre, la plupart des chantiers sont achevés et la situation sur le réseau s’améliore à nouveau pour revenir vers les standards que les CFL veulent offrir à leur clientèle (NDLR : l’objectif actuel de la ponctualité est fixé à 92%).

La ligne 90 reliant Luxembourg à Thionville reste un enfer pour beaucoup d’usagers. Comment y remédier ?

Il est vrai que la situation n’est pas bonne sur le sillon lorrain depuis cet été. La raison? Quelques lignes ont été arrêtées durant les congés estivaux et durant ceux de la Toussaint. Les CFL ont dû faire face à une situation sans précédent. Mais heureusement, les travaux sont achevés côté luxembourgeois et la situation devrait s’améliorer progressivement. On remarquait d’ailleurs un mieux depuis début décembre en ce qui concerne les perturbations. La SNCF réseau a néanmoins encore un chantier en période nocturne qui durera jusqu’au début 2023 et qui provoquera encore quelques perturbations, le matin de bonne heure, mais j’espère que ce sera sans conséquence sur les trains aux heures de pointe.

La stratégie pour le sillon lorrain du Ministère et des CFL repose sur un investissement massif dans l’infrastructure, comme pour le reste du réseau, avec la mise en service progressive de la nouvelle ligne Luxembourg-Bettembourg entre 2026 et 2028. En parallèle, les CFL vont réceptionner leurs nouvelles automotrices (34 pièces), progressivement, à partir de 2023 et jusqu’en 2025. Ces deux mesures permettront d’améliorer la situation côté luxembourgeois.

“Une nouvelle loi a été déposée pour débloquer une enveloppe supplémentaire de 110 millions d’euros qui seront injectés intégralement dans le ferroviaire du sillon lorrain français”

François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics

Parlez-nous de la collaboration entre la France et le GDL en matière ferroviaire…

Le Luxembourg aide la France avec une enveloppe actuelle de 120 millions d’euros qui vont être injectés dans le sillon lorrain, des P&R autour du sillon lorrain, etc. Une nouvelle loi a été déposée pour débloquer une enveloppe supplémentaire de 110 millions d’euros qui seront injectés intégralement dans le ferroviaire du sillon lorrain français pour des projets qui devront améliorer les transports en commun des transfrontaliers. Tous ces travaux côté français, comme chez nous, vont permettre d’augmenter rapidement la longueur des trains à 240 m d’ici 2 à 3 ans, grâce à l’allongement des quais et au renforcement de l’alimentation caténaire.

"Il faut passer par ces chantiers et malheureusement, par ces désagréments, pour arriver au résultat escompté."

François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics

De plus, la région Grand Est a également acheté une vingtaine de rames qui seront utilisées sur le sillon lorrain d’ici quelques années. Toutes ces mesures au niveau de l’infrastructure, mais aussi au niveau du matériel roulant vont permettre d’atteindre l’objectif final qui est de pouvoir circuler en heure de pointe en 2028 avec 8 TER + 1 TGV par direction. Ce n’est pas tout de pouvoir arriver à ce résultat, mais il faut encore avoir la robustesse pour maintenir cette cadence incroyable et ne pas répercuter des retards sur tout le réseau. C’est pour cela que tous ces travaux sont nécessaires depuis la dernière décennie et que le montant investi par habitant est le plus élevé d’Europe. Il faut passer par ces chantiers et malheureusement, par ces désagréments, pour arriver au résultat escompté. Je remercie les usagers pour leur compréhension.

Le transport par fret va connaître une avancée majeure avec la finalisation de la ligne Athus (terminal PED)-France ces prochains mois. Est-ce aussi bénéfique pour le Luxembourg ? Quels sont les enjeux ?

Au contraire du terminal d’Athus, le terminal de Bettembourg-Dudelange ne traite que très peu de flux maritimes et est spécialisé dans les flux dits « continentaux », avec un nombre de manutentions de semi-remorques toujours plus important. En 2022, le ratio des semi-remorques est de près de 70% du volume total traité. Ces deux terminaux ne s'adressent donc pas aux mêmes marchés. A court terme, l’impact devrait donc être minime pour le terminal de Bettembourg-Dudelange. Globalement, tout investissement dans le fret ferroviaire ne peut que renforcer l’attractivité par rapport au transport sur route.

Même si le nombre de cyclistes a doublé en deux ans dans la capitale, la mobilité douce stagne lorsqu’il fait froid. Comment relancer “cette mécanique” durant l’hiver ?

Qui le dit (sic) ? Voyez-vous les gens se déplacer en voiture entre les stands du marché de Noël ? La marche à pied est de la mobilité active ! Les Luxembourgeois ont de bonnes chaussures et de bons vêtements d’hiver, ne vous faites pas de souci. Pour ce qui est des cyclistes, depuis l’année 2020, les ventes de vêtements d’hiver, y inclus pour les déplacements en ville, montent en flèche. Dans tous les pays qui connaissent un hiver moins chaud, il y a certes une fluctuation saisonnière du nombre de cyclistes. C’est particulièrement vrai pour les déplacements touristiques ou de loisir. Ce qui compte, c’est qu’au Luxembourg, le nombre de déplacements urbains à vélo augmente sur toute l’année. Les investissements sont réalisés pour inciter la pratique du deux roues. Par exemple au Kirchberg, la piste cyclable longeant l’Avenue J.F. Kennedy profite du même service hivernal que les voies dédiées à la circulation automobile.

Qu’en est-il de la plateforme luxembourgeoise qui pourrait offrir un service équivalent à Uber ?

Uber est devenu un synonyme de digitalisation et de facilité d’accès au transport occasionnel rémunéré de personnes, surtout dans un secteur qui reste collé à ses habitudes depuis des décennies. La majorité des courses (en taxi et en VLC) se font aujourd’hui grâce à la réservation, mis à part quelques exceptions, à des endroits spécifiques tels que l’aéroport ou les grandes gares. Ainsi, il faudrait, pour l’utilisateur de ces services, des outils lui permettant de facilement comparer les offres et de faire un choix en fonction des besoins. Il est important de spécifier que les courses réservées devraient être à terme à prix fixes afin de couvrir les parties prenantes de toute surprise. Par conséquent, une plateforme digitale de comparaison et de réservation associée au principe de prix fixes connus à l’avance contribue à avoir un accès facile à ce moyen de transport, tout en restant des plus transparents et démocratiques possibles. Les amendements au projet de loi 7762 mettant en œuvre les principes énoncés ci-avant seront soumis sous peu au Conseil de Gouvernement.

Après 10 ans en tant que ministre, vous avez confirmé votre volonté de ne pas aller au-delà de cette législature; quel regard portez-vous sur votre parcours politique ?

Mon plus grand échec est certainement d'avoir été trop souvent bloqué par des procédures trop complexes et des égoïsmes particuliers. Ma plus belle réussite est en revanche toutes les extensions du réseau du chemin de fer, le projet du tram et les investissements en faveur du vélo.

François Bausch, ministre de la Mobilité