La gauche, au combat des inégalités
Julien Brun / Publié le 07:00 02.05.2023
2023 est une double année électorale pour le Luxembourg: le 11 juin pour les communales et le 8 octobre pour les législatives. Durant cette année, lourde sur le plan politique, déi Lénk veut faire passer ses idées sociales, démocratiques et anticapitalistes. Interview de son porte-parole, Gary Diderich.
Gary Diderich, porte-parole déi Lénk. Photos©EricDevillet
En déclarant que “le temps de l’inaction est révolu pour notre pays”, vous dénoncez la politique gouvernementale en matière de climat, de logement et de lutte contre la pauvreté…
Si on veut convaincre d'opter pour un changement, il faut d'abord porter le message que les injustices, les inégalités et la crise du logement ne sont pas une fatalité; elles résultent d’une politique et en l'occurrence, celle de l’inaction.
“Le gouvernement qui avait promis un vent de changement [...] laisse faire le marché.”
Gary Diderich
Certes nous avons des objectifs environnementaux au niveau mondial, européen et même national avec le PNEC (Plan national intégré en matière d’énergie et de climat) mais rien n’est mis en œuvre pour les atteindre. Prenons l’exemple de l’assainissement énergétique des bâtiments qui, après l’industrie et la mobilité, est le plus grand levier pour réduire les émissions de CO2. Si les primes allouées sont plutôt bien étoffées, elles obligent à un investissement financier et à des lourdeurs administratives trop importantes. Ainsi, elles ne ciblent pas les bâtiments qui en ont réellement besoin; à savoir ceux qui ont du vitrage simple ou aucune isolation de toiture par exemple.
Le gouvernement qui avait promis un vent de changement, se satisfait de son action en disant qu'ils ne peuvent pas faire plus. En réalité, il laisse faire le marché.
Selon Carole Thoma, votre collègue porte-parole, déi Lénk a “l’objectif de rassembler les mécontents de la politique gouvernementale”. Rassembler les mécontents suffit-il à faire un projet politique?
Être un politique, ce n’est pas un compliment de nos jours. L’abstentionnisme, le vote blanc et le vote populiste s’expliquent par la désillusion des électeurs. Il faut les rassembler sans quoi ils se tourneront vers l’extrême droite.
La force de changement ne vient pas de ceux qui sont satisfaits de la situation actuelle. Mais une fois rassemblés, il s’agit de convaincre par les idées.“Nous devons contraindre nos communes à un minimum de 10% de logements publics”
Gary Diderich
Le Luxembourg devrait construire 6000 nouveaux logements par an pour accompagner sa croissance démographique. L’année dernière, nous en avions achevé 3800 mais la Chambre des métiers et la Fédération des artisans pensent que nous en construirons 2300 en 2023. La crise du logement n’est-elle pas une course perdue contre la croissance démographique?
Quelle autre alternative si ce n’est une crise plus aiguë encore? Nous avons présenté un paquet de mesures dont la plus importante est la construction massive de logements publics abordables. Le Luxembourg affiche le chiffre ridicule de 1,6% de logements publics là où d’autres pays comme la France oblige ses métropoles à 20% sous peine de sanctions financières. Nous devons contraindre nos communes à un minimum de 10% de logements publics et ces mêmes 10% doivent être inscrits dans les PAP (plans d'aménagement particulier).
Dans le même temps, 20 000 logements sont estimés comme vacants au Luxembourg. Il faut que les communes et l’Etat puissent les acquérir! D’autant plus que les prix baissent, c'est l'occasion d'en profiter maintenant!
Il faut pour cela créer un nouveau Service public du Logement qui aurait la mission de soutenir des projets de logements abordables mais également les communes et les associations déjà actives en la matière. Ce service viendrait également en aide aux personnes qui souhaiteraient faire de la rénovation énergétique.
En parallèle, il faut créer une entreprise de construction à capital public. Cette dernière construirait des logements publics abordables et formerait directement les demandeurs d’emplois pour répondre à la pénurie de main d'œuvre dans les métiers du bâtiment.
Enfin, il faut être innovants en favorisant la construction de logements modulaires, et notamment aux abords des lieux de travail et instaurer une taxe sur la vacance des logements et des terrains constructibles.
Gary Diderich, porte-parole déi Lénk. Photos©EricDevillet
Face à l’augmentation des prix du logement et à l’instar de plusieurs villes européennes, le plafonnement des prix peut-il être une solution au Luxembourg quand on sait que les propriétaires sont aussi des électeurs?
C’est la solution qui aurait un effet immédiat sur le plus grand nombre de locataires. C’est d’autant plus important aujourd’hui dans la mesure où la propriété est de moins en moins accessible et que de plus en plus de personnes restent locataires.
Dès 2017, nous avions soumis un projet de loi pour plafonner les prix mais le gouvernement a préféré commencer de zéro pour sa réforme du bail à loyer. Si le Ministre Kox dit plafonner ainsi les loyers de façon plus efficace, sa mise en lien du capital investi avec l’évolution des prix du logement dénature cette notion de capital investi surtout pour les logements anciens. Par ce fait, le plafonnement sera finalement tellement élevé, que les locataires seront nullement protégés, mis à part les locataires de chambres meublées. Mais il oublie que ces locataires sont les plus abusés et les moins enclins à faire valoir leurs droits en justice. La refonte du bail à loyer va ainsi protéger à la marge, quelques locataires uniquement. Cette loi perd tout son sens.
La politique requiert un courage pour servir le plus grand nombre et au Luxembourg, la plupart des propriétaires ne sont pas propriétaires d’un deuxième logement, ils ne sont donc pas bailleurs. Pour ces propriétaires et surtout leurs enfants, la politique actuelle mène droit dans le mur; il est dans leur intérêt de choisir une autre politique de logement.
“[...] le Politique n’est plus à la mode, contrairement au populisme.”
Gary Diderich
Pour les communales de juin 2023, vous aurez des listes dans huit communes et pour ce qui est des législatives, vous espérez garder vos deux députés; vos ambitions politiques ne sont-elles pas trop timides?
Nous aurons des listes complètes à Esch-sur-Alzette, Sanem, Dudelange, Differdange, Luxembourg-Ville, Pétange, Schifflange et peut-être à Mersch. Mais nous aurons aussi des candidats à vote majoritaire dans d’autres communes dans l’Est et le Nord.
Ce n’est pas évident dans un pays qui compte cent communes et même les grands partis politiques ont du mal à avoir des listes partout. Mais je ne pense pas que nos ambitions soient timides pour autant. Lorsque j’ai débuté en 2009, nous n’avions aucun député et peu pensaient que nous aurions un futur. Certes, nous sommes encore petits mais nous arrivons à peser sur les débats et notre travail d’opposition aussi bien dans les communes qu’à la Chambre des Députés est très apprécié. Enfin, nos actions politiques ne reposent pas uniquement sur les institutions mais influent également dans la société en général.
Mais honnêtement, quelles sont les différences entre les quatre grands partis politiques? Ils tendent tous vers le centre-droit; il n’y a plus de véritables clivages. C’est là un vrai problème car il en résulte que le Politique n’est plus à la mode, contrairement au populisme.
“Les Verts et le LSAP sont au gouvernement depuis presque dix ans maintenant et les inégalités, les injustices et l’urgence d’une action climatique s'accroissent”
Gary Diderich
À l'image de la Nupes en France, ne serait-il pas envisageable d'imaginer la réunion de la gauche luxembourgeoise ?
Nous sommes toujours ouverts aux discussions, et notamment sur une alliance autour d’un programme solide et véritablement de gauche, mais nous ne sommes pas en France, où les partis naturels de gauche ont conservé des valeurs communes. Même si c'est parfois possible au niveau communal, où ce sont les individus qui se rassemblent, cela me semble beaucoup plus difficile pour les partis politiques.
Force est de constater que les Verts et le LSAP attirent désormais des profils centristes. C'est peut-être la raison pour laquelle d'anciens socialistes et écologistes nous rejoignent.
Ces partis politiques sont au gouvernement depuis presque dix ans maintenant et les inégalités, les injustices et l’urgence d’une action climatique s'accroissent. Ils se demandent donc, à raison, à quoi bon faire partie du gouvernement si nous n'arrivons pas à atteindre ces objectifs?
“Luxembourg-Ville n’a aucune excuse pour ne pas investir massivement dans le logement social”
Gary Diderich
D’après le Liser, Luxembourg-Ville compte 22% de travailleurs qui vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 1.942 euros. Et ce, avec de grandes disparités: 660 euros à Bonnevoie ou à la gare contre 9.037 euros pour les habitants de la Ville-Haute. La capitale est-elle devenue l’épicentre d’une pauvreté toujours plus loin repoussée?
C’est notre analyse oui et Luxembourg-Ville n’a aucune excuse pour ne pas investir massivement dans le logement social au regard de leur réserve budgétaire. La réalité, c’est qu’elle ne veut pas de cette clientèle et que l’augmentation des prix des logements est une occasion pour éloigner les pauvres.
Nous pensons que les questions sociales et écologiques sont imbriquées. Si les travailleurs habitent loin de leur lieu de travail à cause de leur salaire, cela impacte l’écologie, la mobilité, leur qualité de vie et la mixité sociale.
“Il existe un réflexe protectionniste dans le secteur public et il faut un courage politique pour dépasser une situation de privilèges”
Gary Diderich
Les étrangers représentent 70% des habitants de la capitale mais ne sont que 7% d’inscrits sur les listes électorales. Au niveau national, ce n’est guère mieux avec 16,1% d’inscrits pour près de la moitié des habitants. Communales, législatives et représentativité; qu’en est-il du déficit démocratique au Luxembourg?
Il y a en effet un problème démocratique au Luxembourg. Et cette question n’a pas été réglée par le non du référendum. Je pense pour ma part que c’était un vote de protestation et que la campagne précédent le vote a été mal menée.
Il existe de nombreux domaines discriminatoires au Luxembourg, le logement, les revenus, le système éducatif, etc. nous ne pouvons pas rester dans cette situation.
“Les électeurs [...] sont conscients que l’économie et la politique leur réserve certains avantages”
Gary Diderich
La cohésion sociale commence au niveau communal, associatif et sportif. Pourtant, si la loi autorise de parler l’une des trois langues administratives lors d’un conseil communal, dans les faits, il n’y a que le luxembourgeois qui est utilisé, et ce, sans moyen de traduction. Il faut enclencher une dynamique et envoyer un signal de bienvenue. L’essentiel, c’est de se comprendre, ce n’est pas le repli identitaire!
Il faut également que le secteur public s’ouvre plus encore aux non-Luxembourgeois. Évaluons les domaines dans lesquels on a du mal à recruter et où telle ou telle langue est nécessaire. Embauchons alors avec une obligation d’apprentissage des langues manquantes. Il existe un réflexe protectionniste dans le secteur public et il faut un courage politique pour dépasser une situation de privilèges, d’autant plus quand c’est au bénéfice du plus grand nombre.
“Une grande partie de ceux qui vivent dans la pauvreté et qui ont des problèmes de logement n'ont pas le droit de vote.”
Gary Diderich
La gauche n’est-elle pas victime d’un embourgeoisement des électeurs?
Les électeurs ne vont pas trop mal et sont conscients que l’économie et la politique leur réserve certains avantages qu’ils ne veulent pas mettre à mal. Une grande partie de ceux qui vivent dans la pauvreté et qui ont des problèmes de logement n'ont pas le droit de vote. Et de fait, un vote de changement est beaucoup plus difficile à obtenir.
Les plus aisés et la classe moyenne doivent prendre conscience que les inégalités sont croissantes; et que si rien n’est fait, un jour, ils seront également touchés par la précarité.