Politique & Collectivités

Le budget de l'Etat 2024 analysé par la Chambre des Métiers

Julien Brun / Publié le 13:59 03.04.2024


Pendant la période actuelle, se caractérisant par une situation de polycrise, l’environnement macroéconomique reste très incertain. Les nombreuses incertitudes rendent difficile l’appréciation du caractère réaliste ou non des prévisions. Le projet de budget 2024 montre que les finances publiques seront déficitaires en 2023, même si la situation est plus favorable que ce qui était prévu dans le budget de l'année précédente. En effet, l'administration publique dégage un déficit de 566 millions d’euros au lieu de 1.813 millions d’euros annoncé lors du budget de l’Etat 2023. Or, les données font également état d'une dégradation de 421 millions d’euros en 2024, le solde de l'administration publique passant de -566 millions d’euros à -987 millions d’euros. Néanmoins, la Chambre des Métiers se demande si les prévisions de l’année 2024 ont été établies avec une prudence budgétaire similaire.

Le budget pluriannuel prévoit que le déficit de l’Administration centrale s’amenuisera en passant de 1,9 milliards en 2024 à 1,3 milliards d’euros en 2027, l’excédent de l’Administration de la sécurité sociale diminue de son côté de 861 millions d’euros en 2024 à 261 millions en 2027. Ainsi, les temps où l’excédent de la Sécurité sociale servait à compenser le déficit enregistré par l’Administration centrale touchent/(toucheront) à leur fin. Alors que les prévisions indiquent que le solde restera positif jusqu'en 2027, à politique inchangé, des déficits sont attendus après 2027. En effet, l’excédent de la Sécurité sociale, masquait ces dernières années en quelque sorte les déficits de l’Administration centrale.

Les données budgétaires, que ce soient les déficits importants et récurrents de l’Administration centrale ou l’évolution de la dette, montrent clairement l’impact de ces crises sur les finances publiques.

Sur la période 2020-2027, la dette publique passe de près de 16 milliards d’euros à près de 27 milliards. L’Etat est obligé d’avoir recours à l’emprunt afin de financer les déficits consécutifs de l’Administration centrale sur les années 2020 - 2027, s’élevant à 13 milliards d’euros au total.

Exprimé en pourcentage du PIB, la dette devrait augmenter de 22% en 2019 à 27% en 2027 à politique inchangée.

Par conséquent, à politique inchangé, la marge de manœuvre pour résoudre les défis structurels du pays diminue.

Après l’apparition de la pandémie qui a nécessité le déploiement de moyens massifs sur le plan de la santé publique et du soutien aux entreprises, la guerre en Ukraine a débouché sur une crise énergétique. Actuellement, le pays est confronté à une crise de la construction, nécessitant l’intervention du Gouvernement afin d’éviter le pire pour les entreprises et les salariés concernés. Sur ces problématiques se greffe en sus les défis structurelles du pays, la pénurie de logements, la lutte contre le changement climatique et le vieillissement de la population. Finalement, la guerre en Ukraine a montré de manière dramatique que l'Europe ne peut pas négliger les investissements dans la défense

D'après les données du projet de budget sous avis, les investissements directs et indirects de l’administration centrale devraient s’élever à 3,7 milliards d’euros en 2024, ce qui représenterait une hausse de 10% par rapport au niveau de 2023. Rapportés au PIB, les années 2020 et 2025 montrent des pics d’investissements avec respectivement 4,5% et 4,6%. Or, sur toute la période 2023-2027, elles fluctuent entre 4,2% et 4,6% et restent ainsi au-dessus de la moyenne historique de 3,9%.

La Chambre des Métiers approuve la politique d’investissement ambitieuse du Gouvernement, même si une partie de cette croissance fulgurante des investissements est simplement due à l’évolution des prix. D’après l’analyse de la Chambre des Métiers, les investissements en termes réels n’augmentent que de 7% entre 2010 et 2024, alors qu’en termes nominaux, la progression est de 83%. En période d’inflation élevée, le niveau des investissements doit donc être revu à la hausse de manière adéquate, afin que l’Etat puisse continuer à investir en volume autant qu’avant. Dans le cas inverse, le développement économique serait freiné, ce qui menacerait la compétitivité du Luxembourg ainsi que le système de protection sociale.

Par conséquent, elle peut souscrire à la politique expansionniste du Gouvernement consistant dans le recours à la dette en cette période difficile, tandis qu’une consolidation des finances publiques s’impose dès la sortie de la crise.

La Chambre des Métiers regrette cependant que les finances publiques restent déficitaires à moyen terme, ce qui montre que les efforts pour un retour à l'équilibre budgétaire devraient être intensifiés à l'avenir, sans pour autant compromettre les investissements publics nécessaires pour relever les défis structurels du pays.

Dans tous les cas, la Chambre des Métiers salue la volonté du nouveau Gouvernement d’aborder le sujet de la soutenabilité des finances publiques, y compris dans la sécurité sociale, à plus long terme.

Concernant les possibles pistes à suivre pour réduire les dépenses publiques, elle estime opportun d’optimiser le fonctionnement de l’Etat et de généraliser la sélectivité sociale au niveau des transferts sociaux.

L’analyse de la soutenabilité du régime général des pensions montre qu’il faudrait, entre autres, une augmentation supplémentaire des recettes d’au moins 2,1% par an pour conserver l’équilibre du régime des pensions jusqu’en 2070, sous réserve de la réalisation des hypothèses sous-jacentes aux projections réalisées. Au vu des rôles clés que jouent les hypothèses d’évolution de l’emploi et de la productivité, il ne paraît pas responsable de tabler, ex ante, sur une évolution favorable de ces deux paramètres, tout en niant les risques inhérents liés. Partant une réforme structurelle du régime général des pensions s'impose. La Chambre des Métiers déplore le fait que, sur la période 2019- 2023, les frais de fonctionnement de l’Etat avec notamment la consommation intermédiaire et la rémunération des salariés s’accroissent plus vite que leur moyenne historique. Qui plus est, au cours de la période 2024-2027, la catégorie des « rémunérations des salariés » est celle qui devrait s’accroître le plus vite (+6%) selon les estimations du Ministère des Finances.

Si, dans le système actuel, l’Etat ne peut guère freiner l’effet « prix » en raison des rigidités inhérentes au mécanisme d’adaptation des salaires, à terme la Chambre des Métiers est d’avis que le système de rémunération (très attractif) du secteur public devrait être lié à la performance des collaborateurs afin de motiver les collaborateurs les plus performants. Une meilleure évaluation de la performance aurait comme effet de dynamiser davantage la fonction publique. Par ailleurs, l’accroissement de l’effet « volume » devrait être limité en augmentant l’efficience de l’Etat, par exemple à travers la digitalisation et la simplification des procédures administratives.

La Chambre des Métiers salue les mesures arrêtées par le Gouvernement, en ce que celui-ci vise à renforcer le secteur de la construction et, ce faisant, de maintenir les emplois.

Or, au regard de l’ampleur de la crise, elle propose des mesures supplémentaires comme notamment l’abolition temporaire des droits d'enregistrement sur la quote-part construction déjà réalisée, l’avancement des investissements liés au rachat de projets de construction privés (existants) ainsi que l’introduction d’une garantie d’Etat sur le différentiel entre le seuil de prévente requis, soit 80%, et les logements vendus en pré vente.

texte © Chambre des Métiers

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