Pour une politique d’immigration adaptée à la réalité
Julien Brun / Publié le 06:55 24.04.2024
Le Luxembourg est et restera un pays d’immigration dont la croissance de la population est très majoritairement due aux migrations.
Laura Zuccoli - Militante des droits civiques
« Au 1er janvier 2023, le Luxembourg comptait 660.809 habitants, soit 15 412 de plus qu’en 2022 (+2.4%) … La part des personnes de nationalité étrangère a continuellement augmenté au cours du temps en passant de 26.3% en 1981 à 47.4% en 2023 ». Entre les recensements de 2011 et 2021, la population a augmenté de 131.588 personnes soit 25.7%. Cet accroissement est majoritairement dû à l’immigration nette. Ainsi, en 2021, la population née à l’étranger représente 49,3% de la population totale (contre 40,1% en 2011), alors que 47,2% de la population totale n’a pas la nationalité luxembourgeoise (contre 43% en 2011). 73,7% de la population a un arrière-plan migratoire, alors qu’ils n’étaient que 61,2% en 2011.
Depuis des années, le solde migratoire – la différence annuelle entre le nombre de personnes ayant immigrés et celles ayant émigrés – est positif de plus ou moins 10.000 migrants/an. Durant les dernières décennies, le nombre d’immigrés est en augmentation, passant de 5.990 en 1984 à 26.668 en 2019. Durant la même période, le nombre d’émigrés, c.-à-d. les personnes qui quittent le Luxembourg, est passé de 5.502 à 15.593. Les migrations dans notre pays sont donc très dynamiques et se caractérisent par une forte rotation.
A ces chiffres s’ajoutent les frontaliers, de plus en plus nombreux, qui viennent tous les jours travailler au Luxembourg. En 2021, sur 458.000 salariés travaillant au Luxembourg, 212.000 étaient des frontaliers. Notons que 73,5% des salariés au Luxembourg n’ont pas la nationalité luxembourgeoise.
Les flux migratoires vers le Luxembourg se sont diversifiés et ont un impact sur toutes les couches de la population ; les immigrés sont surreprésentés aux deux extrémités de l’échelle des qualifications. Entre 2011 et 2021, la part des migrants originaires de pays tiers à l’Union européenne surtout d’Asie (+251%), d’Afrique (+143,6%) et du continent américain (102,8%) a fortement augmenté, donnant un visage de plus en plus cosmopolite au pays.
Depuis la fin du 20ème siècle, le Luxembourg a enregistré l’arrivée de nombreux réfugiés des Balkans, d’Afrique comme d’Asie. Les 5 dernières années en moyenne 1.800 demandes de protection internationale ont été déposées au Luxembourg, dont environ la moitié a obtenu l’autorisation de rester et de travailler dans notre pays.
Face à tous ces défis et opportunités, il faut imaginer une politique migratoire aussi dynamique que les flux migratoires, adaptée à la réalité du marché de l’emploi et aux motifs d’immigration.
La demande d’autorisation de séjour pour travailler devrait pouvoir se faire aussi depuis le Luxembourg
Les ressortissants de l’Union européenne bénéficient de la libre circulation, donc du libre accès au marché du travail sans restrictions, mais ils ne sont pas assez nombreux à vouloir travailler au Luxembourg pour répondre aux besoins de l’économie.
Les personnes détenant un passeport d’un pays tiers à l’Union européenne peuvent travailler au Luxembourg sous certaines conditions très strictes. La loi sur la libre circulation des personnes et l’immigration de 2008 exige des ressortissants de pays tiers désirant obtenir une autorisation de séjour comme travailleur salarié (hautement qualifié ou non) que la demande soit « introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire ». Concrètement, cela signifie que tout ressortissant de pays tiers qui souhaite travailler au Luxembourg, doit trouver un employeur avant même d’être au Luxembourg et que toute personne se trouvant déjà sur le territoire est exclue et ne peut pas introduire de demande.
Le choix, d’exclure un migrant d’une démarche régulière de demande de titre de séjour pour travail, simplement parce que celui-ci se trouve déjà sur le territoire du Grand-duché, est discutable, surtout quand certains cas sont régularisés de manière exceptionnelle. « Le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers », ce qui concerne uniquement un nombre limité de cas, répondant à des critères spécifiques non définis. L’analyse de ces demandes est faite au « cas par cas ». Cette pratique discrétionnaire est aussi évoquée dans l’accord de coalition : « Le Gouvernement ne prévoit pas de régularisation générale des réfugiés déboutés, mais il décidera au cas par cas ». Accorder au cas par cas un droit de séjour ou de travail sans critères clairs, équitables et transparents, laisse le demandeur et son futur employeur à la merci du bon vouloir du ministre et de son administration. Ceci n’est pas digne du fonctionnement d’un État démocratique.
On constate la venue, soit illégale, soit sous couvert de la demande d’asile, de nombreux migrants. Les demandes de protection internationale n’aboutissent pas si les demandeurs ne peuvent pas prouver que leur vie est en danger dans leur pays d‘origine ou s’ils sont originaires de pays classés comme « sûrs ». Ces ressortissants ont des raisons de fuir leur pays à cause de la pauvreté, du chômage ambiant, de conflits internes… Mieux vaut leur donner une chance de trouver un emploi légal sur notre marché de l’emploi que de les laisser végéter dans l’incertitude et la clandestinité.
L’émission de visas temporaires pour la recherche d’un travail permettrait la venue légale de migrants économiques à la recherche d’une vie meilleure et éviterait leur chute dans la clandestinité
Ils pourraient être émis dans les ambassades représentants le Grand-Duché. Cela donnerait l’occasion à ces migrants de venir légalement et de rechercher pendant un certain temps un emploi vacant au Luxembourg. On éviterait ainsi que certains migrants recourent p. ex. à la demande d’asile comme porte d’entrée au Luxembourg, ce qui serait bénéfique dans tous les sens : un besoin moins important en structures d’accueil des demandeurs d’asile, des délais plus courts pour ceux qui demandent la protection…
L’exigence d’un contrat à durée indéterminée (CDI) pour obtenir une 1ère autorisation de séjour pour travailleur salarié ne devrait plus être requise, un contrat à durée déterminée (CDD) devrait suffire
C’est en fait une pratique de l’administration, la condition d’un CDI ne figurant pas dans la loi qui dit devoir être « en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi ». Or, le CDI est généralement exigé. Un CDD amène souvent un refus de la demande sous prétexte qu’après ce premier CDD, il n’y aurait pas de garantie que la personne retrouve un emploi. Cependant, un CDI ne donne pas de meilleure garantie, car il peut être résilié à tout moment, même sans préavis durant la période d’essai.
A certains demandeurs de protection internationale déboutés du droit d’asile et issus de pays, où le gouvernement sait qu’ils ne pourront y être renvoyés, la Direction de l’Immigration envoie une lettre les invitant à présenter un CDI pour pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour pour travailleurs salariés et ainsi pouvoir rester au pays. Or la grande majorité de ces personnes manque d’expériences de travail sur le marché de l’emploi luxembourgeois et peinent à trouver un CDI. Face aux difficultés d’organiser le retour des réfugiés déboutés du droit d’asile, on ferait mieux de leur faciliter l’intégration sur le marché de l’emploi au lieu de les laisser végéter sans perspective et perdre du temps de vie précieux pour apprendre, travailler, évoluer.
Un système à points considérant l’ensemble des compétences et atouts de la personne devrait être mis en place pour accorder une autorisation de séjour voire régulariser la situation administrative d’une personne
En Allemagne vient d’être introduit la “Chancenkarte mit einem Punktesystem” (carte des chances avec un système de points) qui évalue des critères d’apprentissage de la langue, de travail, d’implication sociétale, d’engagement bénévole pour émettre une autorisation de séjour et de travail. Un exemple intéressant à suivre au Luxembourg car cela permettrait de considérer l’ensemble des compétences des personnes désirant travailler au Luxembourg.
Il faut arrêter de considérer comme déterminants pour accéder au séjour légal au Luxembourg que la demande soit effectuée avant l’arrivée au Luxembourg, que le contrat de travail soit un CDI et que l’employeur potentiel dispose d’une autorisation d’engager un ressortissant de pays tiers.
La liste des métiers très en pénurie doit être plus souple et élargie à davantage de métiers
Suite à la simplification des procédures en vigueur depuis le 1.9.2023, l’obtention du certificat permettant à l’employeur d’embaucher un ressortissant de pays tiers est facilitée. Le test du marché n’est plus exigé pour certains métiers, s’ils figurent sur la liste des métiers très en pénurie qui est mise à jour par l’ADEM. Sur la liste de 2023 ne figurait presque pas de métiers peu qualifiés. Or, parmi les métiers les plus recherchés en 2023, l’ADEM cite en 5ème position le personnel de cuisine, en 7ème le service en restauration, en 11ème le nettoyage des locaux, en 15ème la plonge, ce qui montre que ces secteurs ont un besoin urgent de main d’œuvre. Il faut que cette liste soit élargie à davantage de métiers, entre autres de la restauration et de l’hôtellerie.
Une communication claire et trimestrielle devrait être faite par les administrations compétentes sur les effets de l‘application de cette mesure, il faut évaluer son impact.
Pour justifier le refus d’accorder aux employeurs l’autorisation d’engager un ressortissant de pays tiers pour des métiers peu qualifiés, l’argument avancé est qu’il y a assez de chômeurs peu qualifiés qui pourraient occuper ces postes peu qualifiés vacants. Or, peu de candidats motivés se présentent aux employeurs, prêts à accepter des emplois peu qualifiés, souvent pénibles. L’administration refuse au patron l’autorisation d’employer un ressortissant de pays tiers motivé, sous prétexte qu’il y a assez de chômeurs sur le marché de l’emploi pouvant occuper le poste. Se pose la question du droit au choix du candidat par l’employeur pour un poste vacant non ou peu qualifié.
L’accord de coalition prévoit d’assouplir les conditions d’obtention d’une autorisation d’occupation temporaire AOT aux demandeurs de protection internationale DPI. « Quatre mois après l’introduction de leur demande de protection internationale, les DPI pourront conclure un contrat de travail dans les domaines à forte pénurie de main-d'œuvre ». Pourquoi juste ces domaines ? Pourquoi ne pas faciliter aux DPI dès leur arrivée l’accès à l’emploi et ainsi les autonomiser dès leur venue.
L’AOT perd immédiatement sa validité lorsque la procédure d’asile est définitivement refusée. Quel employeur est prêt à engager un demandeur de protection internationale, s’il sait qu’il ne pourra pas le garder lorsque sa demande d’asile est définitivement refusée ?
La libre circulation doit être accordée aux citoyens originaires de pays tiers disposant d’un séjour permanent dans un autre pays membre de l’UE, au même titre que les ressortissants de l’Union
Certains ressortissants de pays tiers sont légalement installés depuis de nombreuses années dans un autre pays de l’Union et y disposent d’un séjour permanent. Certains aimeraient venir travailler au Luxembourg, les crises économiques dans le pays de l’Union où ils résident, ne leur donnant plus de réelles perspectives d’emploi. Le libre accès au marché de l’emploi de l’Union ne s’applique pas à eux, alors que souvent ces citoyens sont formés, sont des travailleurs expérimentés, ayant une expérience de vie dans un autre pays de l’Union. Actuellement, ils sont tenus de remplir les mêmes conditions que ceux qui sont encore dans leur pays d’origine et ils doivent effectuer les mêmes démarches administratives, sans aucune facilitation de la procédure.
Un soutien technique pour les demandes d’autorisation de séjour devrait exister pour les employeurs et les futurs bénéficiaires d’une telle autorisation
Certains employeurs sont induits en erreur, car sur certaines autorisations de séjour permanent émises dans d’autres pays de l’Union figure la mention qu’elles sont valables dans toute l’Union européenne. Or, ces citoyens peuvent se déplacer librement en tant que touriste, mais ils n’ont pas le libre accès aux emplois dans un autre pays de l’Union comme c’est le cas pour les ressortissants de l’UE. Ils emploient des ressortissants de pays tiers sans les autorisations nécessaires et s’exposent à des sanctions et le salarié concerné à l’expulsion.
Un accompagnement technique des dossiers devrait exister, la législation sur la libre circulation et l’immigration étant très complexe – on peine à s’y retrouver. Des formations devraient être proposées aux employeurs afin de garantir le bon déroulement des demandes.
Ceci permettrait d’éviter – surtout aux petits employeurs – d’être sanctionnés, s’ils emploient à leur insu un ressortissant de pays tiers sans avoir rempli les conditions prévues par la loi. Cela donnerait aussi une sécurité aux ressortissants de pays tiers que leur dossier est valablement traité et éviterait que des personnes sans scrupules les exploitent, voire les induisent en erreur, pour introduire une demande de séjour.
Les longs délais de délivrance des autorisations de travail et l’impossibilité pour l’entreprise comme pour le salarié de connaître en temps réel la progression de sa demande doit cesser
Le délai de délivrance des autorisations de travail avant l’arrivée du salarié sur le territoire luxembourgeois s’accompagne bien souvent d’un manque de communication des autorités compétentes sur le statut de progression de la demande. Le délai de réponse du ministère est en principe de 4 mois maximum. En cas d’absence de réponse dans ce délai, le requérant peut considérer sa demande comme rejetée. Cette lenteur de traitement engendre une forte inquiétude pour le candidat comme pour l’entreprise concernée. On constate aussi de longs délais de réponse pour les titres de séjours définitifs délivrés après l’autorisation temporaire de 3 mois. Il n’est donc pas rare qu’un contrat de travail doit être suspendu, en l’absence de l’obtention du titre de séjour pour activité salariée dans des délais raisonnables. L’employeur a peur d’être sanctionné en cas de contrôle et préfère alors ne pas employer le ressortissant Non UE.
Le demandeur d’une autorisation de séjour ainsi que son futur employeur devraient pouvoir suivre en temps réel l’état d’avancement du dossier et dialoguer avec une personne de contact unique en charge de sa demande. Dans l’accord de coalition est indiqué « Un portail en ligne sera créé pour consolider toutes les informations nécessaires pour les candidats potentiels et les entreprises intéressées ». Espérons que cette plateforme verra le jour rapidement. Elle devra être multilingue et devra faciliter les démarches d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers, salariés, étudiants et chercheurs en réalisant l’ensemble des démarches en ligne.
Les ressortissants de pays tiers résidant dans les pays voisins devraient pouvoir venir travailler au Luxembourg en tant que frontaliers
Actuellement, seuls les ressortissants de pays tiers peuvent travailler comme frontalier au Luxembourg, si leur conjoint a une nationalité de l’Union européenne et travaille déjà comme frontalier au Luxembourg. Chaque pays membre de l’Union peut se doter d’une politique migratoire propre, si elle n’entrave pas celles en vigueur dans l’Union. Le Luxembourg pourrait ainsi élargir son bassin de recrutement dans les pays frontaliers en accordant l’accès au marché de l’emploi aux ressortissants de pays tiers résidant aux frontières du Luxembourg.
Comme il est très difficile sur le marché du logement luxembourgeois de se loger, une telle mesure permettrait aux ressortissants de pays tiers travaillant légalement au Luxembourg de s’installer dans la région frontalière. Encore faudra-t-il s’entendre avec les pays voisins sur leur droit d’y résider tout en travaillant au Luxembourg.
Des programmes ciblés sur la formation professionnelle, l’accès au travail doivent exister dès la venue des réfugiés/migrants au pays afin d’assurer de meilleures chances d’intégration et d’autonomisation
Les réfugiés d’Ukraine à qui la protection temporaire est accordée ont un accès sans restriction à l’emploi. Ils peuvent travailler librement sur le 1er marché de l’emploi ou occuper un emploi dans une structure subventionnée par l’État (CIGL …). Les offres et services de l’ADEM leur sont aussi accessibles. Lorsqu’ils trouvent un emploi, ils peuvent quitter leur statut de bénéficiaire de protection temporaire et obtenir une autorisation de séjour pour travailleur salarié.
Pourquoi ne pas étendre ce droit aux autres demandeurs de protection internationale, voire aux sans-papiers pouvant justifier d’une présence au pays depuis un certain temps.Une évaluation de l’insertion sur le marché de l’emploi des réfugiés d’Ukraine fait défaut. Or, elle serait importante pour voir si ce dispositif est concluant et s’il pourrait être étendu aux autres réfugiés ou migrants.
La possibilité de s’inscrire comme demandeurs d’emploi, d’ouvrir l’accès à la formation professionnelle, de pouvoir accéder à toutes les fonctionnalités du jobboard de l’ADEM… favorise l’intégration au marché de l’emploi. Ce serait un apport à la protection de la santé mentale et aux ressources personnelles de ces personnes ayant souvent vécu des traumas graves.
Nos administrations devraient s’employer à autonomiser les personnes, à les intégrer sur le marché de l’emploi. Leurs décisions devraient être positives en matière d’accès à une formation professionnelle, d’autorisations accordées aux employeurs à employer un ressortissant de pays tiers. Il faut cesser d’avoir une politique des refus, mais viser l’inclusion de ces personnes.
Une autorisation de séjour devrait être accordée si le réfugié se trouve en situation d’emploi ou de formation lorsque sa demande de protection est refusée
Dans l’accord de coalition figure que « le contrat de travail d’un demandeur de protection internationale DPI n’influencera en rien les procédures prévues en cas de déboutement ! »
Le DPI ayant montré sa volonté à devenir économiquement indépendant pendant sa demande d’asile en exerçant un emploi, devrait pouvoir rester et continuer à travailler.
Aux déboutés du droit d’asile qui suivent un apprentissage, l’assurance de pouvoir terminer cet apprentissage devrait aussi être donnée. Leur formation ayant souvent débuté alors qu’ils étaient demandeurs de protection internationale, ils doivent l’interrompre au moment où leur demande de protection est définitivement rejetée. Ceci est incompréhensible compte tenu des efforts déployés par les réfugiés apprentis, les patrons et l’école qui les encadrent.
L’autorisation de travail pour suivre une formation professionnelle des adultes pourrait remédier au manque de main d’œuvre dans certains secteurs
L’artisanat est constamment à la recherche de main d’œuvre qualifiée ou d’apprentis.
Les conditions restrictives d’accès au travail prévues dans la loi sur l’immigration pour les ressortissants de pays tiers ne devraient pas être appliquées pour des formations professionnelles, surtout dans les secteurs en manque de main d’œuvre.
Des filières de pré-formation professionnelle pour adultes permettant aux inscrits d’approfondir leur bagage linguistique de manière ciblée et d’obtenir une pré-formation dans le domaine professionnel choisi comme c’est le cas à l’EHTL devraient être possibles dans de nombreux autres domaines.
Les élèves terminant une classe CLIJA (classe d’intégration jeunes adultes) avec un avis d’orientation peuvent actuellement suivre un apprentissage pour adultes.
Des pratiques positives, mais peu promues !
L’accès à la formation des adultes permettrait aux personnes intéressées : demandeurs de protection internationale DPI, bénéficiaires de protection internationale BPI, mais aussi conjoints de Non UE… de mieux intégrer le marché de l’emploi luxembourgeois. La réussite d’une pré-formation devrait donner droit à une autorisation de séjour pour rechercher un emploi dans ce domaine via la formation des adultes.
L’apprentissage des adultes devrait être accessible aux intéressés sans devoir justifier d’une année de séjour et de travail au Luxembourg et être assortie d’une autorisation de séjour immédiate dès qu’un employeur est trouvé – ceci permettrait de former des migrants à la recherche d’un emploi tout en leur assurant un revenu d’au moins le salaire minimum et pourrait répondre au manque de main d’œuvre dans certains secteurs.
Remédier à la pénurie d’emploi par une politique de reconnaissance des diplômes moins restrictive et plus transparente
Aux barrières linguistiques s’ajoutent la reconnaissance des diplômes et des qualifications formelles obtenues à l’étranger. L’absence de reconnaissance des diplômes reste un sujet phare qui freine la mobilité des salariés, au sein de la Grande Région et au-delà, obligeant souvent à un « empilement » de modules de formation et de certificats qui ne font pas toujours sens. La difficulté pour nombre d’étrangers d’obtenir la reconnaissance de leurs diplômes limite leur accès au marché de l’emploi. Il en résulte que des compétences disponibles sur le territoire, et dont le Luxembourg a besoin, ne peuvent être mobilisées.
L’Allemagne facilite depuis novembre 2023 la venue de travailleurs qualifiés issus d’États hors de l’UE ayant une qualification professionnelle. « Wer zwei Jahre Berufserfahrung und einen Abschluss im Heimatland hat, kann als Fachkraft nach Deutschland kommen ». Des voies de certification des compétences devront être mises en place avec les chambres professionnelles pour ouvrir ainsi la reconnaissance de diplômes professionnels. Une voie intéressante qui pourrait être menée dans le cadre d’une politique d’aide au développement responsable et/ou de l’immigration circulaire (voir ces points plus loin) afin d’éviter le « Brain drain » au détriment des pays du Sud.
Face à l’énorme pénurie des métiers de santé, la reconnaissance des diplômes dans les domaines de la santé devrait être revue, facilitée, unifiée, harmonisée au niveau de l’UE et adaptée aux réalités. Il faut créer des ponts au sein des organismes de formation au Luxembourg permettant ces reconnaissances. Certaines personnes issues de pays tiers, dont un nombre substantiel a la nationalité luxembourgeoise, sont hautement qualifiées et jouissent d’une riche expérience professionnelle. Certains résident pendant des années au Luxembourg et malgré de multiples démarches restent sans reconnaissance de diplômes et sans autorisation de travailler même dans des domaines à forte nécessité. Ces situations sont très difficiles pour les personnes elles-mêmes, mais cela constitue aussi une perte économique considérable pour le pays, car elles ne peuvent pas exercer leur métier faute de reconnaissance de leur diplôme. Ainsi, p. ex. pour les médecins, on pourrait s’imaginer que la faculté des Sciences, des Technologies et de Médecine pourrait se charger d’organiser des programmes courts de reconnaissance des diplômes de pays tiers en collaboration avec des hôpitaux pour la pratique. Cette problématique devrait être reconnue comme urgente et prioritaire par les ministères responsables, car on sait que 77% des spécialistes actuellement en exercice seront à la retraite en 2034.
Ces dossiers de reconnaissance des diplômes sont traités avec des lenteurs extrêmes. Il existe un manque de transparence des critères, du processus et des organes décisionnels. Il faut un règlement clair, adapté, compréhensible et sensé scientifiquement pour moderniser, harmoniser et surtout faciliter la reconnaissance.
Les ressortissants de pays tiers sans séjour régulier au Luxembourg devraient être régularisés
La dernière régularisation exceptionnelle a eu lieu en 2013, accordant le séjour légal à environ 670 personnes. Cela fait donc plus de 10 ans !
Les migrants, n’ayant jamais fait de demande d’asile, sont au Luxembourg, travaillent sans autorisation, vivent dans la clandestinité. Ils s’exposent à de nombreux abus et exploitations. Il est difficile de chiffrer leur nombre. Pendant la période du Covid19, l’ASTI avait mis en place une distribution de bons alimentaires pour les personnes en situation de séjour irrégulier. Cette action, financée par des dons privés et le soutien de fondations, a été lancée pour permettre aux personnes ayant perdu leurs revenus suite à la pandémie de Covid19, d’avoir accès aux produits de première nécessité dans les épiceries sociales gérées par Caritas et la Croix-Rouge. « 450 personnes ont bénéficié de ce soutien, dont 160 mineurs ». Les ressortissants de pays tiers sans séjour régulier au Luxembourg ou les personnes déboutées du droit d’asile, déjà présents sur le territoire luxembourgeois, vivent dans la clandestinité ou l’incertitude. Elles sont exclues de toutes les mesures sociales telles que l’accès au Revis, les allocations de vie chère, mais également les indemnités pécuniaires, le chômage et les allocations familiales. Elles sont pénalisées si elles travaillent sans autorisation de séjour, car elles risquent l’expulsion, alors que les patrons qui les emploient écopent, en cas de contrôle, d’amendes souvent symboliques, certains engagent par la suite la prochaine victime.
Comment éviter de telles situations et mettre en place une régularisation légale du séjour de ces personnes ? Il faut arrêter de « tolérer » des personnes sur le territoire sans leur donner une perspective réelle. Les « tolérances » octroyées donnent le droit aux personnes de rester sur le territoire, sans cependant leur donner un droit de séjour. Il faut des mécanismes clairs et transparents pour transformer ces « tolérances » en accès au marché de l’emploi sans traitement des dossiers « au cas par cas ».
L’Allemagne a mis en place des mécanismes d’accès au travail légal pour les ressortissants de pays tiers avec l’objectif de stopper la « Kettenduldung ». Ces dispositions accordent une « 18-monatige Aufenthaltserlaubnis wird Menschen, die am 31. Oktober 2022 seit fünf Jahren geduldet, gestattet oder mit einer Aufenthaltserlaubnis in Deutschland leben, nicht straffällig geworden sind und sich zur freiheitlich demokratischen Grundordnung bekennen. Gut integrierte Jugendliche und Heranwachsende können bereits nach drei Jahren Aufenthalt sowie bis zur Vollendung des 27. Lebensjahres eine Aufenthaltserlaubnis erhalten. » Sans devoir copier cette mesure à la lettre, une telle approche permettrait au « migrant toléré » de se retrouver en situation de séjour légal lorsqu’il recherche des potentiels employeurs et donc faciliterait son accès à l’emploi.
Dans l’accord de coalition est écrit « le Gouvernement ne prévoit pas de régularisation générale de réfugiés déboutés, mais pourra décider au cas par cas si des personnes, qui sont au Luxembourg depuis plusieurs années, sans s’être soustraites à une mesure d’éloignement, pourront être régularisées ». Pourquoi préconiser le « cas par cas » exceptionnel, sachant que plus de la moitié des demandes d’asile sont refusées et que beaucoup de réfugiés déboutés de leur demande d’asile ne peuvent pas être renvoyées dans leur pays.
Les mesures d’intégration à l’emploi doivent être complémentaires à la politique migratoire et cibler un accompagnement individuel à l’emploi dès l’arrivée au pays
L’étude Migrant Integration Policy Index MIPEX 2020 souligne l’absence au Luxembourg de parcours d’accompagnement individuel facilitant l’intégration à l’emploi. Un tel parcours inclut, dès l’arrivée au pays, un accueil structuré du migrant ou du réfugié dans le but de l’intégrer rapidement au marché du travail. Il permet d’évaluer les possibilités réelles d’emploi / de formation / d’orientation professionnelle dès l’arrivée au pays d’accueil. Ces programmes d’insertion et de parcours à l’emploi de migrants permettraient dès leur arrivée d’être orientés, de les former aux exigences de notre marché de l’emploi. Des expériences comme celles acquises dans le programme Coach4Work de l’ASTI qui met à disposition de personnes à la recherche d’un emploi un coach à l’emploi bénévole devraient être institutionnalisées et élargies.
N’oublions pas que de nombreuses personnes immigrent suite à un mariage ou à un regroupement familial. Elles pourraient aussi profiter d’un tel accompagnement.
Mener une politique d’aide au développement responsable favorisant l’immigration circulaire et des voies d’entrée légales de migrants à travers des programmes de développement du Ministère de la Coopération
L’immigration circulaire désigne une forme de migration gérée de façon à permettre un certain degré de mobilité légal, dans les deux sens, entre deux pays. Vivre et travailler dans un autre pays, y partager et renforcer ses compétences, élargir son réseau de contacts, puis retourner dans son pays d’origine permettrait de profiter des plus-values de l’expérience migratoire. Un timide essai dans ce sens a été réalisé avec le Cap-Vert, mais sans évaluation connue pour l’instant. Une immigration circulaire répondrait à la nécessité des pays d’origine de bénéficier de transferts de compétences et d’atténuer les conséquences de la fuite des cerveaux.
On pourrait ainsi proposer des voies d’entrée légales aux migrants à travers des programmes de développement soutenus par le Ministère de la Coopération. Créer des programmes de développement visant l’accès à l’expérience professionnelle dans nos entreprises et proposant au migrant qui retourne, après un certain temps, dans son pays d’origine, une perspective d’emploi grâce à un projet de développement, serait profitable pour tous.
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Le Luxembourg laisse passer le potentiel de beaucoup de personnes en adoptant des politiques d’immigration, de formation et d’insertion à l’emploi restrictives et arbitraires, privilégiant le « cas par cas ».
L’ADN du Luxembourg est son interculturalité et la diversité de ses habitants, et cela, depuis plus de 100 ans. Afin de rendre justice à cette réalité qui enrichit le Luxembourg et qui fait que nous sommes ce que nous sommes, il faut valoriser les personnes qui y vivent. Il faut arrêter d’empêcher les personnes de travailler au Luxembourg et ainsi de contribuer à notre économie et vivre dignement. Les pousser vers la clandestinité ou leur donner que le choix de l’asile pour accéder légalement au Luxembourg est contreproductif et entraîne de nombreux problèmes.
Nous avons besoin d’une politique migratoire accueillante et courageuse, reconnaissant et valorisant le potentiel des personnes désirant s’installer au Luxembourg.
par Laura Zuccoli, Militante des droits civiques Publié par improof.lu