Politique & Collectivités

La recherche en droit luxembourgeois s’intéresse au contrôle fiscal

Julien Brun / Publié le 13:19 24.07.2023 | 02 min


(de g. à d.) Dr. Fatima CHAOUCHE, chargée de cours (vacataire) à l’Université du Luxembourg et référendaire à la Cour administrative et Dr. Julia SINNIG, chercheuse postdoctorale à la chaire ADA de droit financier de l’Université du Luxembourg. Photos © Université du Luxembourg.

Tout fiscaliste luxembourgeois est un chercheur qui s’ignore !

Contrairement à ce qui est souvent soutenu, le droit fiscal, même s’il constitue une discipline juridique incontournable au Luxembourg, n’est pas une matière privilégiée par les pouvoirs publics. Il n’y a qu’à ouvrir le code fiscal pour s’en rendre compte : il n’existe pas ! Et si on s’intéresse aux lois fiscales, il y a parfois de quoi en perdre son latin. Au Luxembourg, il n’existe pas de service public de la diffusion des lois qui permettraient au public (et accessoirement aux professionnels du droit) d’avoir accès à une version consolidée des lois fiscales applicables, c’est-à-dire une version de la loi mise à jour intégrant les modifications ultérieures dont elle a fait l’objet. Pour en avoir le cœur net, il suffit d’aller sur le site internet du Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg et de chercher la loi générale des impôts (Abgabenordnung) du 22 mai 1931[2]. Héritée de l’occupation allemande et conservée dans sa langue de rédaction d’origine – l’allemand – la version de cette loi au Journal officiel, est à jour, d’après les indications de ce site, jusqu’à l’année 1973….

Toujours d’après ce site, la loi générale des impôts a été modifiée par 26 lois. Par conséquent, pour connaître la version à jour de ce texte, soit celle qui s’applique au 1er juin 2023 par exemple, deux options sont possibles : la première, efficace, mais coûteuse, consiste à souscrire un abonnement payant auprès d’un des éditeurs juridiques luxembourgeois (privés) qui propose, dans leurs offres numériques, une version consolidée de cette loi. La seconde option, plus artisanale, contraint le professionnel du droit (ou le citoyen) à recenser manuellement l’ensemble des modifications opérées à partir du texte d’origine. Il s’agit donc de mettre, soi-même, à jour le texte pour connaître l’état du droit à un moment T. Dans le cadre de notre loi générale des impôts, il faudra donc aller consulter, une par une, les 26 lois modificatives[3], pour connaître les modifications apportées, au fil du temps, à la loi générale des impôts.

L’exemple de la loi générale des impôts n’est pas isolé. Prenons la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu. Cette loi, en langue française, a été modifiée à 186 reprises[4]. Heureusement cette fois, il existe bien une version consolidée de cette loi sur le site du Journal officiel, mais le travail de coordination du texte s’arrête au …. 31 décembre 2010. On pourrait (presque) se consoler par le fait que l’administration des Contributions directes publie, sur son site internet, un texte coordonné de cette loi au 1er janvier 2023. Cependant, l’administration nous met en garde, ce texte coordonné n’est pas un texte officiel. Il a été élaboré par l’administration elle-même et ne doit avoir qu’un usage « à titre informatif ». Ô désespoir, encore une minute de répit veux-tu ?

Et le contrôle fiscal dans tout ça ?

Le décor du cadre fiscal luxembourgeois étant posé, pourquoi s’intéresser au contrôle fiscal ?

Les bases légales qui prévoient et organisent le contrôle fiscal sont essentiellement issues de la loi générale des impôts du 22 mai 1931. Ces dispositions légales sont générales, c’est-à-dire qu’elles prévoient le type de contrôle fiscal que peut subir un contribuable sans toutefois prévoir le détail de sa mise en œuvre. Dans le jargon juridique, on parle de pouvoir discrétionnaire. L’administration dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation dans l’interprétation et l’application du texte juridique, faute pour le législateur ou le pouvoir réglementaire d’en avoir prévu une application plus précise.

Outre le pouvoir discrétionnaire dont dispose l’administration des Contributions directes dans la mise en œuvre de ces contrôles fiscaux, notons que la pratique administrative qu’elle déploie est majoritairement inconnue du grand public, mais aussi des spécialistes du droit fiscal.

Or, nombreuses sont les raisons qui poussent à s’interroger sur l’exercice, par l’administration des Contributions directes, du contrôle fiscal :

- Premièrement, l’administration ne communique pas officiellement sur les droits et les obligations des contribuables visés par un contrôle fiscal.

- Deuxièmement, les sources doctrinales ayant étudié le contrôle fiscal au Luxembourg sont infimes et se désintéressent du comportement de l’administration dans le cadre de ces vérifications fiscales.

- Troisièmement, le changement idéologique qui a dominé au sein de l’administration des Contributions directes ces dernières années a progressivement mis un terme à la culture consensuelle de cette administration. Dans ce contexte nouveau de défiance, s’intensifient les raisons de contrôler la situation fiscale de certains contribuables et, par-là, le nombre de contrôles fiscaux.

Améliorer nos connaissances du contrôle fiscal

Dans le cadre de ce projet de recherche, nous faisons appel au public afin de collecter tout renseignement auprès de personnes ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal au Luxembourg. La collecte de ces renseignements issus du « terrain » nous permettra de reconstituer le déroulement et les enjeux d’une série de contrôles fiscaux régulièrement déployés par l’administration des Contributions directes.

Pour faciliter ce travail de collecte, un questionnaire a été mis en place par le Comité des Cahiers de fiscalité luxembourgeoise et européenne. Nous invitons toute personne intéressée à prendre part à cette enquête anonyme (particuliers, sociétés, experts-comptables, conseillers, consultants, avocats, etc.). Les participants au questionnaire sont invités à le compléter de bonne foi et à prendre comme période de référence le dernier contrôle fiscal dont ils ont fait l’objet ou pour lequel ils ont agi en leur qualité de représentant du contribuable (avocat, consultant, expert-comptable, etc.). Le traitement des réponses reçues par le biais de ce questionnaire permettra aux auteurs de cette étude :

- d’explorer le déroulement et la portée du contrôle fiscal au Luxembourg ;

- d’établir la chronologie de ces vérifications fiscales ; et

- de mettre en évidence les droits et obligations des contribuables et de l'administration des Contributions directes durant l'enclenchement de ces procédures de vérification.

Les résultats de l’ensemble de cette étude donneront lieu à la publication d’un article dans les Cahiers de fiscalité luxembourgeoise et européenne. Cette contribution fera également l’objet d’une publication librement accessible en ligne. Le questionnaire est accessible en suivant ce lien https://form.dragnsurvey.com/survey/r/09d0f834 ou en contactant fatima.chaouche@ext.uni.lu

[1] Docteurs en droit et rédacteurs en chef des Cahiers de fiscalité luxembourgeois et européenne (Larcier, Université du Luxemburg). Dr. Fatima CHAOUCHE est référendaire à la Cour administrative et chargée de cours (vacataire) à l’Université du Luxembourg. Dr. Julia SINNIG est chercheur postdoctoral au sein de la chaire ADA en droit financier à l’Université du Luxembourg.

[2] Pour une analyse détaillée des défis posés par cette loi voy. A. KLETHI, « Cache-cache juridique, À la recherche des dispositions perdues de la loi générale des impôts », in d'Lëtzebuerger Land, 7 octobre 2022 (librement accessible en ligne).

[3] Ce nombre est recensé dans la section « relations » de la loi générale des impôts (Abgabenordnung 1 Vom 22. Mai 1931) sur le site www.legilux.public.lu.

[4] Ibid, pour la section « relations » de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu