Politique & Collectivités

Pour la durabilité du Secteur public

Julien Brun / Publié le 12:07 13.11.2023 | 05 min


L’Union européenne entend réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030. Si l’objectif est la neutralité carbone pour 2050, L’Union européenne entend réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030. Si l’objectif est la neutralité carbone pour 2050, les législations sont extrêmement difficiles à mettre en place pour les organisations, qu'elles soient publiques ou privées. Pour en discuter, Roude Léiw le mag. est allé à la rencontre de deux Associés de chez Deloitte: Francesca Messini, Sustainability Leader et Luc Brucher, responsable du Secteur public. Interview !

Francesca Messini, Sustainability Leader et Luc Brucher, responsable du Secteur public

Dans quelle mesure les communes peuvent-elles prendre part à la lutte contre le changement climatique ?

FM : Nous avons récemment réalisé une étude au niveau européen en posant la question aux citoyens. Il en ressort que la pollution de l’air, la santé publique, la préservation de l’eau et les catastrophes naturelles sont les principales préoccupations des Européens. Les administrations communales sont en première ligne dans la mesure où ce sont elles qui agissent sur la mobilité, l’urbanisme, les services médicaux, les espaces verts, l’utilisation raisonnée de l’eau, les services de secours, etc.

“Les administrations communales sont en première ligne [...]”

Francesca Messini, Sustainability Leader

Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance doivent être appréhendés dans une même problématique que l’on nomme ESG. Je prendrais l’exemple de la pollution de l’air, première préoccupation des citadins et qui ne peut être traitée sans le volet social de la santé publique. Implémenter une zone piétonne pour améliorer la qualité de l’air doit se faire en proposant des alternatives de mobilité par exemple. Enfin, toute politique environnementale ou sociale, à long et moyen terme, doit être pensée à la lumière des compétences disponibles. C’est ce que l’on nomme la gouvernance.

Quel est le degré de maturité des administrations communales au Luxembourg ?

LB : Au Luxembourg, le degré de maturité est souvent tributaire de la taille de la commune. Bien évidemment, la capitale fait office de modèle en la matière. À l'image de la Nordstad, d’autres communes préfèrent encore faire converger leur vision de l’avenir et mutualiser leurs efforts. Mais dans l’ensemble, force est de constater que l’immense majorité des communes rencontrent des difficultés à se doter des compétences appropriées pour mener à bien leurs politiques.

Un exemple pour illustrer mon propos : beaucoup d’administrations communales n’ont pas encore inventorié l’ensemble de leurs biens. Comment peut-on travailler à une politique de réduction des émissions de CO2 lorsqu’on ne sait pas précisément ce que l’on possède ?Le nombre d’organisations publiques et privées qui ne connaissent pas leurs émissions de CO2 est relativement préoccupant.

“Le nombre d’organisations publiques et privées qui ne connaissent pas leurs émissions de CO2 est relativement préoccupant »

Luc Brucher, responsable du Secteur public

Si le degré de maturité est donc très différent d’une commune à l’autre, la volonté politique est quant à elle, bien présente. Au Luxembourg, il existe un alignement entre les attentes des citoyens, la volonté des communes de faire changer les choses et les ambitions gouvernementales : ce qui est une très bonne chose !

Quelles sont les priorités de l’urgence climatique ?

FM : À la lecture des rapports du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ou IPCC pour l'anglais “Intergovernmental panel on climate change”), on se dit que tout est désormais urgent. À tel point que parfois, on pourrait avoir le sentiment qu’il est déjà trop tard.

Cependant, la première des priorités reste le réchauffement climatique et donc, la réduction de nos émissions de CO2. C’est pourquoi, il est important de continuer nos efforts concernant les transports publics, les énergies renouvelables et la capacité thermique des bâtiments.

“Il est impossible de changer ce qui nous est inconnu.”

Luc Brucher, responsable du Secteur public

En quoi la récolte et l’appréciation des données sont des armes pour la guerre contre le réchauffement climatique ?

LB : Il est impossible de changer ce qui nous est inconnu. L’objectif est alors de comprendre où sont les points forts et surtout les points faibles d’une organisation afin de trouver les bonnes alternatives.

Face à l’augmentation de leur population, les communes du pays doivent augmenter leurs capacités à offrir des services publics. Mais, seule la donnée peut éclairer une décision politique telle que la création d’un nouveau hall sportif ou l’augmentation des capacités de ceux qui sont déjà existants.

Les mesures de l’empreinte carbone permettent de disposer d’une information précise, quant aux biens et infrastructures appartenant à une commune et leur degré d’utilisation. La récolte des données s’inscrit néanmoins dans un processus de digitalisation nécessitant des infrastructures technologiques, digitales et de cybersécurité. Cela ne peut se faire sans un véritable plan d’actions et des méthodologies claires.

Certes, il est difficile pour une PME ou une commune de se doter des compétences nécessaires en interne pour implémenter de grands chantiers technologiques et c’est pourquoi, il faut s’entourer des bonnes personnes en externe.

“Les réglementations sont des leviers d’amélioration qui renforcent les visions stratégiques.”

Francesca Messini, Sustainability Leader

Les partenariats public-privé sont donc, plus que jamais, nécessaires ?

FM : Les organisations publiques et privées sont désormais confrontées à une jungle de réglementations, où le repérage et l’identification des plus pertinentes est extrêmement difficile.

Les réglementations sont des leviers d’amélioration qui renforcent les visions stratégiques. L’accompagnement doit également permettre de les considérer non plus comme des contraintes, mais comme des opportunités.

LB : De plus en plus de communes souhaitent améliorer l’efficacité de leur travail. Souvent, le plus difficile à modifier est moins la grande problématique que les petits grains de sable venant gripper la machine quotidienne. Cette remise en question doit être accompagnée d’une expertise externe.

Le recours aux entreprises privées doit néanmoins toujours être pensé en fonction des bénéfices que le citoyen pourra en tirer. Car le projet, quel qui soit, reste interne à la commune.

Aller chercher les bonnes compétences pour faire mieux en interne est une preuve de qualité de gouvernance. C’est pourquoi, notre défi en tant que conseiller, est de faire entrer la bonne personne au bon endroit.

Comment faire pour impliquer plus encore le citoyen dans le processus de prise de décisions ?

FM : La guerre contre le réchauffement climatique ne se gagnera pas sans les citoyens. C’est pourquoi il faut continuer à les impliquer et notamment à travers les plateformes digitales. L’implication des citoyens est déjà une réalité et il suffit de se rendre à une réunion communale pour s’en rendre compte. Ils ont une connaissance précise des sujets évoqués et expriment des propositions extrêmement concrètes. Le digital est alors un outil pour faire remonter, à la gouvernance politique, cette raison gardée citoyenne.

Ensuite, ce qui fait sans doute défaut, c'est notre capacité à revenir sur ce qui a déjà été réalisé. Je prends pour exemple la gratuité des transports publics au Luxembourg dont la communication a été réalisée en amont. Depuis, a-t-on constaté une réelle amélioration sur les routes ? Il s’agirait donc également d’analyser ce genre de problématique sur le court, moyen et long terme.

Auriez-vous un conseil aux administrations communales ?

LB : Les communes ont le pouvoir de refuser les entreprises et industries trop polluantes qui souhaiteraient s’implanter sur leur territoire. Si ces décisions doivent s’inscrire dans une vision stratégique nationale, les critères de sélection mériteraient pourtant d’être plus précis, basés sur des données comparatives et discutés avec des experts pour avoir une vision plus holistique.

Francesca Messini

Francesca Messini, Sustainability Leader

Partenaire au sein de Deloitte Advisory & Consulting, Francesca s'est spécialisée au cours des quinze dernières années dans le conseil en stratégie et en réglementation.

Dans le cadre de ses fonctions, elle dirige la pratique du développement durable au sein de Deloitte Luxembourg et conseille les clients sur les réglementations et les stratégies ESG et le financement durable.

En outre, Francesca siège au conseil d'administration de LHoFT et dirige le groupe de service chinois pour l'ISF au sein de Deloitte Luxembourg.

Luc Brucher

Luc Brucher, responsable du Secteur public

Luc a plus de 20 ans d'expérience en matière d'audit et de conseil, principalement dans les secteurs commercial, industriel et public.

Il fait partie de la ligne de service multidisciplinaire de Deloitte dédiée aux entreprises commerciales, industrielles et publiques. Au cours de sa carrière professionnelle, Luc a servi de nombreuses PME et communes, les aidant à accroître leurs performances et à repenser leur organisation interne.

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